Pages 168-169 :
Nous sommes le mercredi 23 novembre 1994, entre artères citadines, champs et sapins. Après un repas parfait à la Ferme des Brandt où le chef et son équipe sont capables, avec brio, de faire de la gastronomie en apprêtant de simples abats, nous partons comme prévu, direction Le Valanvron et sa typicité jurassienne ; de Xéranville passager, moi au volant de ma toujours roulante Citroën DS. Le paysage agreste du lieu est engageant. Les clôtures aux fils barbelés ou électrifiés n’ont pas colonisé tout le secteur. Il reste de belles portions de murs en pierres sèches qui séparent paisiblement les parcelles. Pas de bovi-stop (pas encore ?), à tel point qu’on se réjouit de prendre du temps pour ouvrir et fermer les nombreux clédars branlants pourtant debout, à la fermeture ingénieuse faite de deux « strubs » et d’une chaînette. Pastoral, le paysage ; est-ce un cadre adéquat pour pousser un supposé assassin, pasteur en l’occurrence, dans ses derniers retranchements ? C’est en effet bien ce que je m’apprête à faire.
L’alcool peut rendre optimiste. Optimiste, je le suis malgré une consommation modérée ; Arnaud l’est après une absorption soutenue. Je n’ai pas bu le tiers de la désirée de Johannisberg ni de la délectable bouteille de Mercurey choisies sur une carte appétante ; mon vis-à-vis en a donc sifflé la grosse part. Pour le rouge, il aurait préféré un Chambolle-Musigny qu’il a regretté de ne pas trouver à la carte, mais s’est consolé avec le double Armagnac qu’il s’est accordé avec le café. Après avoir rentabilisé la généreuse commande millésimée aux belles étiquettes, il prouve qu’il est bien de ceux dont l’élévation des grammes d’alcool dans le sang accentue la sociabilité. En d’autres mots, il est jovial parce que légèrement bourré lorsque nous quittons Les Brandt et c’est tant mieux !