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C’est par une petite annonce que Gaston avait rencontré Amina. Il lisait un journal à Mulhouse alors qu’il attendait son tour dans l’antichambre du studio d’une prostituée, une Colombienne surnommée Lily, aux fesses callipyges mais, compensation, avec deux tout petits seins. Amina, établie à Nice et « jeune femme d’Afrique du nord, libre, dans l’attente d’un équilibre nouveau auprès d’un homme ayant une situation stable en échange de tendresse et plus si entente», c’est ce qui était écrit sous une rubrique « Rencontres» des Dernières Nouvelles d’Alsace du jour, le quotidien grâce auquel la libido des clients de Lily patientait. Il était ajouté « âge indifférent ». Que recherchait-il lui ? De la tendresse sûrement, le « plus » promis par l’annonce, à coup sûr. Sa vie amoureuse avait été jusqu’alors médiocre, inexistante le plus souvent, du moins avec une partenaire « normale » comme il en rêvait. Dès l’adolescence, sous les douches après les leçons de gym, on s’était moqué de lui à cause de son petit pénis. Cela s’était poursuivi au recrutement, au service militaire. La première fois qu’il avait couché avec une femme, il avait 21 ans, ses parents étaient absents pour le week-end. C’était après une fête villageoise estivale. Elle avait bu, ne savait où dormir, l’avait suivi à son domicile. Là, avait soulevé sa jupe qu’elle portait sans dessous, lui avait ordonné de la prendre tout de suite puisque c’est ce qu’il devait attendre ; de lui « foutre la paix après». Il avait tenté de s’exécuter, ce fut laborieux et bref, elle avait ri de la taille et de la mollesse du sexe puis avait ricané « en plus c’est un éjaculateur précoce ; on est précoce l’a où on peut». Il n’avait pas saisi tout de suite ce qu’elle voulait dire. Ce fut sa seule expérience gratuite – gratuite, l’était-elle vraiment puisque c’était en échange du gîte ? Par la suite, il se rendait à Bâle, à Berne ou à Lausanne, parfois dans les proches villes françaises, payait des prostituées. L’argent en échange d’une copulation rapide et de l’absence de ricanement. Il avait quasi un abonnement auprès de quelques-unes de ces professionnelles, toujours les mêmes. Elles avaient compris son désarroi, gagnaient leur vie mais aussi soulageaient la solitude profonde d’un homme. Il en avait marre pourtant de ces coïts froids, hygiéniques et tarifés, imagina qu’avec la femme de l’annonce, ce pourrait être différent. Une Africaine, ce devait être moins exigeant, plus soumis. Et ce fut le cas, constata-t-il, quelques échanges épistolaires et une rencontre plus tard, après qu’il avait répondu à l’annonce du journal. La femme gémissait lors de leurs rapports amoureux, fussent-ils comme auparavant très courts. De plus, c’était assorti de commentaires flatteurs. Il l’avait rejointe à Nice, il y a près de deux ans, louait pour eux deux un appartement confortable. Elle disait avoir trente-cinq ans, soit trente de moins que lui. Il n’était pas fortuné, mais avec ses rentes et le produit de la vente de la ferme aux frênes, il vivait dans une certaine aisance dont elle profitait aussi. Il ne s’inquiétait pas des dépenses en constante augmentation, en particulier depuis qu’Amina disposait d’une carte d’accès à ses comptes bancaires. Il devait bien cela à une femme amoureuse de lui laquelle, par ailleurs, ne le contredisait jamais. Et il y avait l’or, la réserve, le filon pour surmonter les éventuels coups durs et les inattendus du quotidien. C’était le moment d’entamer le trésor, pour une bonne cause, le bonheur d’Amina et le sien.