Pages 275-277
La blonde folle était dans le trolley le mardi et le jeudi. Ce devait être les jours où elle travaillait en ville. Elle était blonde certes, cependant pas folle mais exubérante et grande. Jean la reconnaissait, pas tellement en raison de sa taille, mais parce qu’un jour il était entré chez elle. Avec un camarade nommé Jean-Frédéric, surnommé Frédy, un grand, il récoltait des lots en faveur de la tombola d’une kermesse scoute. Le porte à porte quémandeur les conduisit à sonner à toutes les entrées d’un pâté de maisons du quartier auquel ils étaient affectés, lequel avait été soigneusement délimité par les responsables de la troupe. Elle était l’habitante d’un appartement sollicité par les « démarcheurs » en uniforme d’éclaireur, les avait fait entrer. Elle était en peignoir. Elle avait des choses à leur montrer, leur dit-elle, mystérieuse, mais rien à donner pour la tombola ; « Les scouts, j’ai jamais aimé ». Ils entrèrent dans une petite pièce, tout à la fois inquiets, troublés et excités. Furent-ils déçus de ce qu’elle exhiba ? Pas du tout mais pour le moins surpris. Il y avait un drôle d’appareil, une masse noire, comme un gros ballon, à mi-hauteur de la chambre et fixée par deux câbles verticaux rejoignant des crochets, l’un au sol, l’autre au plafond. Un punching-ball, décrivit-elle et ils purent mettre des gants de boxe qu’elle leur présenta et dans lesquels leurs petites mains nageaient. Vous pouvez taper, ordonna-t-elle et ils s’exécutèrent. Frédy s’enthousiasmait, « de dieu, ça fait même pas mal aux mains » ; le punching-ball tabassé bougeait comme un ressort contorsionné. Elle leur montra encore une grande affiche de couleur. Il était écrit, à l’encre bleue, en surimpression d’un dessin qui montrait deux boxeurs musclés et occupait toute la surface : « Meeting international franco-suisse, Pavillon des sports, Montbéliard, poids plume, P’tit Bébert contre Magic Fernand, samedi 17 septembre, 20 heures 30 ».
« P’tit Bébert c’est mon mari », annonça-t-elle avec le ton réservé aux secrets qu’on transmet à des initiés. « S’il gagne, il sera finaliste de… » De quoi ? Jean ne l’a pas retenu. Mais la blonde folle vit dans ses yeux et dans ceux de Frédy, une admiration authentique et sans borne pour la femme de P’tit Bébert qu’elle était. C’est ces regards qu’elle espérait en les faisant entrer chez elle. Ils partirent avec une plaque de chocolat et une recommandation catégorique : « C’est pour vous, pas pour les scouts ». La grande blonde atténua la rigueur de ton du conseil par une petite tape aimable derrière la tête de chacun des deux, pressés d’aller raconter aux copains leur rencontre avec « une vedette franco-suisse internationale ».